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In Case We Die. Palerme

Yves Badetz

Texte de présentation de l'exposition des Momies de Palerme à la galerie ALB, Paris, 2009.

 

Le sujet des images de Sophie Zénon recèle des sens cachés bien au-delà de la seule représentation.  Cette artiste a choisi de donner vie dans ses derniers travaux photographiques aux momies des catacombes du couvent des Capucins de Palerme. L'alchimie naturelle du lieu révèlera aux moines, dès la fin du XVI° siècle, cette faculté de conservation des corps, mis en bière pendant un an, exhumés déshydratés, lavés au vinaigre et habillés sous leur aspect actuel de momies moyennant finance. Chaque corps soigneusement étiqueté recevait visites et marques d'affection des proches ; il en suivit une mode macabre, élégante et respectable adoptée successivement par le corps ecclésiastique, l'aristocratie palermitaine et les notables. Tombées au fil de leur histoire commune dans un anonymat hasardeux et involontaire, ces momies resteront exceptions dans la pensée chrétienne entretenant un lien mystique avec l'idée païenne de l'éternité la plus ancienne.

 

Dans le statisme et les atours de leur condition sociale, les corps déshydratés dans leurs habits nous  renvoient, telles des figures de vanité, aux immenses questions du temps  de la mort et de l'éphémère de l'existence. Corps desséchés par le souffle de Dieu manipulateur évoqué dans l'Ecclésiaste, êtres quittés par l'esprit de la vie, réduits dans leurs apparences à la peau de chagrin du néant, ils crient de leur silence profond le miracle de la vie et la merveilleuse instabilité et brièveté des formes du monde. 

 

La perpétuité de ces vanités humaines réveillées et habitées par le talent de Sophie Zénon nous confronte aux reflets d'un miroir qui nous alerte sur le sens profond de nos existences au-delà du profane et du sacré loin du sujet et de la représentation. Il s'agit de regarder et non de contempler, de se voir au travers du jeu de ces miroirs puissants qui réfléchissent des vies lointaines aussi communes et capitales que la nôtre. Ces corps vénérables ne donnent pas image pure de mort,  ils dialoguent du passage du corps à l'esprit, de l'humain au divin, de la fécondité à la mort, de l'extase de ne plus être et de celle d'avoir été, de la vanité de la destinée humaine dans  laquelle chaque corps est un chef d'œuvre et une œuvre d'art que seule la vie anime, perpétue et détruit en le quittant.

 

Imprimant à chacun de ses sujets, la vie théâtrale et parodique que confère le mouvement, Sophie Zénon pose un regard digne, attendri et iconoclaste sur notre existence, sur le plus grand instant de toute vie, celui du renoncement final situé aux origines de toutes les croyances. Elle nous dévoile aujourd'hui une partie de ce travail imposant, « fait du vif avec du mort », et rejoint les accents lyriques de Francis Bacon dans une quête d'essentiel qui mérite toute notre attention avec un regard si aigu qu'il trouve toute sa place et son sens à être présenté en avant-première dans la Galerie Alb.  

 

Yves Badetz

Conservateur au Musée d’Orsay

Juillet 2009

 

Texte de présentation de l’exposition à la galerie ALB

3, rue de Lille 75007 Paris

14 septembre – 10 octobre 2009

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