L'HERBE AUX YEUX BLEUS
2020-2023
Photographies / Livre d'artiste / Sculptures d'après estampages sur papier / Installation
Si les plantes ne peuvent pas se déplacer, elles sont capables de conquérir les terres les plus lointaines, les zones les plus inaccessibles et les régions les moins hospitalières. Génération après génération, grâce à leurs spores ou leurs graines, les végétaux se déplacent et conquièrent de nouveaux espaces. Grâce aux travaux scientifiques, l’histoire de cette expansion commence à être transmise. Si l’origine de la tomate, du maïs ou de la pomme de terre nous est familière, celle des plantes dites obsidionales reste un territoire méconnu et totalement passionnant de part les problématiques contemporaines qu’il soulève.
L’adjectif obsidional vient du latin obsidionalis, il signifie « qui concerne le siège militaire ». Les temps de guerre et de troubles s’accompagnent d’immenses mouvements de troupes, de cohortes, de population réfugiées. Ils sont aussi l'occasion d’introduction, volontairement ou non, de plantes nouvelles, non autochtones, par la croissance des graines contenues dans le fourrage des chevaux, dans les vêtements des soldats ou sous leurs chaussures, ou encore de celle des plantes cultivées par les soldats eux-mêmes à des fins médicinales ou alimentaires. Riches en symbolique et en poésie, ces recherches relativement récentes en botanique constituent une entrée originale pour dessiner en creux l’histoire d’un territoire, pour souligner notre lien à l’environnement, les influences réciproques entre humain et végétal, et pour aborder les migrations sous un angle particulièrement novateur. Associant ainsi des processus naturels et et anthropiques, la recherche questionne les notions d’espèces endémiques et non-indigènes, de changement climatique, de mouvement à travers les frontières territoriales et politiques.
De 2020 à 2023, je me suis totalement passionnée pour ces plantes au point de m’y consacrer toute entière. En compagnie du botaniste nancéien François Vernier, spécialiste du sujet, j’ai arpenté les terres lorraines, région d’Europe qui a connu aux XIXè et XXè siècles le plus de mouvements de troupes et de population. Il n’est donc pas étonnant que ce soit dans cette région que l’on trouve le plus d’obsidionales. A ce jour, vingt et une plantes ont été répertoriées, venues de Russie, d’Allemagne ou encore des Etats-Unis, introduites durant les guerres napoléoniennes, de 1870, de 1914-1918 et de 1939-1945. Certaines se sont bien acclimatées au point de devenir invasives. D’autres ne doivent leur survie qu’aux soins apportés par des conservatoires botaniques. L’herbe aux yeux bleus (*) relate cette aventure humaine et artistique, aux confins des Arts et des Sciences.
En travaillant sur ces migrations végétales – et par ricochet sur celles des hommes–, je me confronte au défi de donner une forme à l’Histoire par l’image, de faire apparaître des traces ténues par les moyens de la science et de la technique. Epaulée par des scientifiques spécialistes du sujet, je relie des domaines de connaissance, des règnes naturels et des périodes temporelles par les fils d’une œuvre organique et symbiotique. Des empreintes de plantes (photogrammes) aux estampages de troncs d’arbres mitraillés, des photographies de fleurs, d’écorces, de paysages, à la réactivation d’archives photographiques, mon approche plastique est plurielle. Mobilisant plusieurs savoir-faire, elle s’articule selon différents protocoles, convoquant tour à tour le corps dans le paysage, les codes de l’herbier et le travail du geste à l’atelier.
* L’herbe aux yeux bleus est le nom d’une plante introduite en Lorraine par les Américains pendant la Première Guerre mondiale, la Bermudienne des montagnes (Sisyrinchium montanum Greene). Ce travail s'appuie sur les recherches menées par le botaniste François Vernier en territoire lorrain. Il été réalisé dans le cadre d'une résidence au long cours, portée par La Chambre à Strasbourg et a reçu le soutien du Ministère de la Culture, de la Région Grand Est et de la Fondation des Artistes.
Avec la complicité du laboratoire Diamantino pour la réalisation des photogrammes, de l'atelier Caroline Chik pour les tirages sur verre et de Charlotte Kaufmann pour le tissage de mes estampages.
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