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Corps mécaniques. 

Didier Mouchel

Texte d’introduction au livre et à l’exposition « Corps mécaniques. Impressions de la Coderie Vallois », éditions Points de Vue / Conseil Général de la Seine-Maritime, 2004.

 

 

Le travail photographique de Sophie Zénon pose la question de la mémoire d'un lieu industriel à partir du processus photographique lui-même: qu'en est-il du passé de cette usine dans ce temps suspendu du musée ici redoublé par le "ça a été" de la photographie ? Qu'en est-il des archives des manufactures et de la mémoire des employés dont les effigies, les mots et les gestes manquent partout autour des machines ? Autant de questions auxquelles la photographie tend le reflet de la trace, le souvenir de l'album, les empreintes des couleurs auxquelles Sophie Zénon a pris soin d'ajouter les paroles d'anciennes ouvrières. 

 

Les photographies de Sophie Zénon ne répondent pas, n'expliquent pas, puisque les images seules n'expliquent jamais rien; tout au plus la photographie propose ou suppose selon le projet choisi par l’auteur. Alors Sophie Zénon suggère des liens, livre une présence ancienne, dispose des matériaux et les transforme en "image" au sens d'imager et d’imaginer l'histoire et les histoires, celle compilée dans les livres mais aussi surtout celles qu'on se raconte ou qu'on s'invente. 

 

À partir de son goût pour les lointains dans l’espace ou dans le temps (souvenons-nous des panoramiques de ses Haïkus mongols), de sa sensibilité aux matières et aux rencontres (voir sa très belle Suite sibérienne longeant le fleuve Amour), Sophie Zénon a choisi une série d’allers-retours entre différentes générations de photographies et entre différents usages de ces images. Les photos de groupe des anciennes corporations, les détails des mains du personnel, des outils ou des visages se croisent avec les productions manuelles, les imprimés, les couleurs et les images actuelles de la Corderie. La solennité des portraits collectifs enregistrés au XIXe siècle par un photographe local se fond dans le grossissement des faciès et des gestes, se confronte à l’actuelle et magnifique inertie des machines puis se dissout dans les superbes aplats colorés des Indiennes. Le flou et l’agrandissement opèrent comme des médiateurs entre le passé et le présent des images et des lieux. Les photographies et les prélèvements d’images s’articulent entre documents d’entreprise, photos-souvenir, constat documentaire et poésie du patrimoine. Le rapprochement des choses produit, chez Sophie Zénon, une intimité, une proximité curieuse et empathique comme celle qui se dégage des albums qui l’ont inspirée et qu’elle nous invite à feuilleter. 

 

De son ensemble d’images produites, trouvées, cherchées, transformées, Sophie Zénon a construit pour nous son propre album, un formidable livre d’images où les mains sont des icônes du monde du travail, les visages des photos de la famille humaine et les machines des documents pour les poètes. 

 

 

Didier Mouchel, 

Responsable de la Mission Photographique au Pôle Image Haute-Normandie

Décembre 2004

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