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Sophie Zénon. Matière, mémoire et nouveaux récits.

Michel Poivert,

historien de la photographie.

Préface de la série "Gestes en partage", in "D'une main à l'autre". Editions LOCO / Ministère de la Culture, 2025.

 

Artiste faisant usage de nombreux médiums, inventant ses formes, matériaux et protocoles, Sophie Zénon place toutefois l’image, aussi bien mentale que physique, au cœur de sa pratique. Elle possède un goût pour la photographie et plus largement les procédés d’impression. Mettant volontiers en avant la question de la mémoire, Sophie Zénon explore depuis des décennies les archives de nos histoire collectives. L’artiste sait leur donner un élan poétique et critique, investiguer, prendre le temps de comprendre chaque situation, pour mieux proposer une actualisation du passé. Ce rapport au temps n’est pas seulement une archéologie, plutôt une anthropologie de l’imagination : à chacune de ses enquêtes est associée une proposition qui fait place aux matériaux et aux savoir faire. Peu d’artistes mettent à ce point en évidence que les ressources physiques d’une représentation engagent le sens au-delà de l’image ou du texte. C’est en redistribuant les formes de l’attention que Sophie Zénon entre dans les imaginaires, appelle souvent à la participation des autres, qu’ils soient présents ou absents (les spectres ne sont jamais loin), re-suscitant les histoires pour de nouvelles narrations.

 

Sensible aux récits, à l’Histoire, aux traces, Sophie Zénon s’interroge d’une façon différente à chaque œuvre produite sur la façon de donner corps. Ses multiples collaborations avec les institutions montrent à quel point elle sait offrir des alternatives à une vision standardisée des événements. Est-ce là une caractéristique de son art ? Sa conception de l’existence technique des choses est toujours un levier pour activer la présence des œuvres, par les installations, les gestes (peut-être son suprême défi), les matériaux. Lorsqu’il s’agit pour elle, depuis deux décennies au moins, de donner à voir un savoir faire, elle sait inscrire un métier dans l’histoire vive de sa transmission, retrouvant là ce qu’elle admire dans « l’art de la mémoire ».

 

Mais ce serait oublier à quel point tout ce qui est vivant est au centre de l’art de Sophie Zénon : place est donnée aux entités non humaines qui - tels les végétaux - hantent véritablement sa production, comme un autre monde familier. Il est troublant de constater, notamment dans la commande sur la transmission des métiers d’art, que toujours chez elle l’image est performative : non pas représentation seulement, mais mise en acte avec ses interlocuteurs/trices. Bergson avait raison, dans Matière et Mémoire, de considérer que la mémoire ne se perd jamais, qu’elle nécessite seulement un outil d’activation.

 

À considérer le résultat de la commande nationale célébrant les 30 ans du titre Maître d’art, on comprend que, quelque soit son médium - et ici la photographie et l’éventail de ses procédés analogiques - il s’agit toujours pour l’artiste de donner une place à l’Autre. Consultez les légendes des images de Sophie Zénon et vous verrez l’Autre apparaître : invités à prendre part à la réalisation d’une œuvre, le ou la Maître d’art n’est jamais un objet (une iconographie) mais bien un sujet agissant. C’est là le versant anthropologique de l’art de Sophie Zénon, transmettre in vivo un geste, l’élaborer, le produire dans le médium de l’artiste. C’est alors que l’on comprend cette chose essentielle, qu’il n’y a pas de frontière dans l’invite qui est faite, mais la main (tendue) pour faire exister le monde ensemble.

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